Dans la tête d’un webdesigner

dans la tête d'un webdesigner

Rencontre avec Thomas, c’est un webdesigner indé, autant professionnellement que philosophiquement. Il crée une « marque », une communauté, une audience qu’il appelle le web chasseur cueilleur club. Il aime transmettre comme on peut le voir sur Youtube, il crée aussi Keiken, un site qui lie son portfolio, son offre de formation et d’accompagnement, ses billets d’humeurs.

On a parfois l’occasion de se rencontrer avec Thomas et de discuter de notre vision du web, j’en profite pour l’interroger sur son métier, sa façon de l’exercer, ses conseils pour qui voudraient se lancer dans le webdesign ou le design d’interfaces.

Nuit Bleue : En parlant de ta propre expérience, que dire à quelqu’un qui voudrait devenir webdesigner ?‌ Quels cursus, quel état d’esprit ? quelles compétences ?‌ Quel salaire ou rémunération?

Thomas : Alors il y a le graphiste et le webdesigner (ou designer tout court). Le graphiste ouvre les logiciels et se met à créer des visuels. Le design c’est le même, mais qui communique et se spécialise sur un support. Je suis bien moins un expert du print (infographiste), mais nous faisons de la mise en page, contraints par la lisibilité, le sens de lecture et le message a porter. Nous répondons chacun à des critères techniques spécifiques et utilisons des codes, des normes propres au papier ou à l’écran. 

Pour le reste c’est classique, se former évidemment et en alternance par exemple. Pour ma part, dès le lycée en art appliqué avec un Bac Professionnel et deux années supplémentaires pour BTS orienté web (mais je viens d’une autre époque). A mon avis les diplômes ont leurs importance, mais les écoles ne parleront pas toujours à vos interlocuteurs professionnels. D’autant que nous savons bien, nous recruteurs, que certaines écoles sont des pay-to-win sans valeur ajoutée. En revanche ! un bon portfolio (votre book, vos travaux) sera bien plus explicite à propos de vous. Je pense qu’un autodidacte avec un vrai intérêt pour le design peut s’imposer avec un portfolio de qualité face à un mystérieux surdiplômé. 

En début de carrière je peux conseiller d’aller en agence plutôt que chez l’annonceur (une marque) notamment pour la diversité des projets, des chartes graphiques, des secteurs d’activité, etc. c’est très formateur. 

Globalement, avant de parler d’état d’esprit je parlerai plutôt de nature, être curieux, de vos collègues, des métiers satellites au design, de vos clients et de leurs cibles. Comprendre que la publicité n’est pas juste de la pollution visuel, mais bien essentiel. En termes d’état d’esprit, il faut juste garder en tête que vous êtes pas un artiste, mais un artisan, que votre sujet n’est pas seulement l’esthétique, trop subjectif, mais bien l’efficacité (la clarté). 

Concernant le salaire franchement je ne serais te dire, étant indépendant depuis plus de 7 ans, peut être entre un Smic et 4000 €/mois, mais trop de facteurs entrent en compte, comme évidemment ton expérience, l’entreprise qui t’embauche, ton style, etc. Aujourd’hui moi je parle plus en TJM et je suis entre 200 et 600 €/jour, donc voilà quoi.. ces fourchettes me paraissent trop larges pour être intéressantes n’est-ce pas ?

Nuit Bleue : C’est quoi keiken et le web chasseur cueilleur ? J’ai bien compris que c’était toi, mais des facettes séparées bien que pas si différentes ? Tu proposes de l’accompagnement, de la presta, de la formation mais sous une forme qui t’appartient ?

Thomas : En 2019 j’ai eu envie de développer mon propre site, la vitrine de mes activités sans idées très précises, maintenant j’ai de grandes ambitions pour lui. Keiken n’est pas encore une marque, mais je le souhaite. Un catalogue de prestations, de formations, un média et une communauté fédéré autour de valeurs simples, celle du web chasseurs-cueilleurs club :

  • Nous réconcilier avec le travail
  • Prendre ses responsabilité professionnellement

C’est une communauté, de gens indépendant ou en devenir, un espace de collaboration ou on demande de l’aide pour son projet ou on en donne à ceux qui en ont besoins.

Je ne souhaite pas être la voix et le visage exclusif de keiken sur le long terme. C’est pourquoi la porte est grande ouverte a toutes sorte de collaborations, sur la chaine, le blog et les catalogues.. j’ai pour habitude de rencarder les bonnes âmes sur mon serveur discord.

La formation Le webdesign de la théorie à la pratique dispensée par Thomas est disponible sur Udemy.

Nuit Bleue : Peux-tu décliner les phases de travail entre la commande et la livraison ? Comment combat on le syndrome de la page blanche dans le webdesign ?

Thomas : Chaque projet est différent en réalité et heureusement, car nous ne sommes pas à l’usine. Mais c’est vrai qu’il peut y avoir une forme de redondances, d’organisation et/ou de méthode. En commençant par la commande, chez moi c’est le brief, soit l’expression écrite de mon client (ou responsable du projet) et c’est très important ! Qu’il verbalise ces besoins, car nous sommes partenaire dans cette première étape. Je suis le docteur et si tu me décrit les mauvais symptômes je ne pourrais pas te soigner (ne me parle pas de ton dos si tu as mal à la tête). Ce brief écrit, associé à ma facture, c’est aussi mon contrat.. plus je vais loin dans le détail, plus précis est mon cadre, plus je suis efficace et plus je me protège juridiquement. Donc faire parler et acter en somme. 

Une fois que les enjeux business sont identifiés, les cibles, la concurrence, etc. vous devez vous imprégner des valeurs de la marque. En plus de ce qui vous saute aux yeux, intéressez vous à l’histoire de l’entreprise, ses faits d’armes, sa philosophie, sa politique, etc. 

Aussi, celui qui formule la demande doit être celui qui valide vos créations dans la mesure du possible. Car même si vous êtes un professionnel capable d’appréhender différentes cibles ou marchés, vous serez très souvent confronté à la subjectivité de ce validateur (c’est donc d’abord lui que je dois séduire). Il doit vous donner ces références, vous devez étudier ces goûts, etc. il faut être très vigilant ici car tout le monde y gagnera !  Concernant la page blanche en vérité c’est assez simple. Puisque nous sommes des artisans, que notre métier a une histoire, évolue dans des tendances graphiques et ergonomiques. Si vous avez pris l’habitude de faire de la veille sur ces derniers, vous croiserez rarement ce syndrome. Cette bonne habitude vous donnera une base viable, une matière première déclinable. Avec l’expérience on finit par trouver sa méthode et elle sera propre à chacun.

Nuit Bleue : Comment s’équilibre le besoin d’un trait unique pour le client et la touche de l’artiste ? Quelle part de soi même dans un framework ?

Thomas : Je suis un stoïcien dans la vie comme au travail, comme je disais, je suis un artisan au service donc je reste le plus pragmatique et méthodique possible. Les contraintes font partie de l’équation, mais comme j’ai presque toujours une bonne base de travail, d’éléments où d’informations, que je suis plus souvent dans l’adaptation, la déclinaison, que le graphisme pur. Mon travail est souvent plus ergonomique, certainement créatif, mais très cadré. J’ai évidemment quelques petits trucs graphiques bien à moi, mais d’expérience, je sais qu’il y a des tendances, des modes, que mon client le sais, cas échéant, même inconsciemment il est influencé.. donc il aimera ce qui est souvent définie comme “moderne”. Ensuite il y a les spécifications techniques liées au support web, le niveau du développeur qui récupérera mes fichiers, sans compter les questions de budget ou de temps a parti.. 

si je dois concevoir une interface de site je la préfère cohérente et intuitive

Création de Shyriu du site vitrine et e-commerce d’une marque de tisane coréenne.

Un bon designer selon moi est d’abord un graphiste polyvalent qui n’a justement pas de style, mais plutôt la capacité de s’immerger dans chaque univers. Encore une fois le “beau” n’est pas ma priorité, si je dois concevoir une interface de site je le préfère cohérent et intuitif, dès lors il sera un “bon” site. Car nous pratiquons le graphisme interactif sur internet et l’internaute est un chercheur, mon boulot consiste d’abord à l’aider à trouver. Et pour ça je dois juste être clair, lui proposer une bonne hiérarchie d’informations, presque un travail de signalétique, de sa question google à la validation de son panier d’achat. Ensuite, l’ambiance du site sera adaptée à son profil, mais surtout aux intentions de la marque (fun, chic, sérieux, ship, girly, jeune..) comme un cocktail finalement, ou la part de soi ne serait que le bout de citron posé sur le verre. 

Conception et réalisation des maquettes par Shyriu, en mobile first, pour la plateforme replay des émissions de la chaîne de télévision internationale – 2017

Plus concrètement, un bon webdesigner est un toqué, un obsédé des alignements au pixel, des bonnes proportions et d’équilibre entre les éléments textes et images, sans oublier la gestion des espaces vides, etc. j’ai quelques combines pour que ce soit “propre” et c’est souvent l’affaire de détails. Alors probablement que c’est une sensibilité inné pour les uns, mais c’est surtout l’éducation de notre regard et cela s’apprend, il suffit de regarder. Donc il y a toujours un peu de soi, quelques initiatives personnelles, mais cela reste un tout petit pourcentage. 

On réfléchissait déjà au parcours utilisateur avant le “design thinking”

Nuit Bleue : je met l’UX, l’UI, l’illustration et l’art dans le même panier quels sont leurs rapports pour toi ?

Thomas : L’interface et l’expérience utilisateur telle qu’on l’entends aujourd’hui, c’est-à-dire scindé en deux métiers, pour moi n’a aucun sens car ils vont de pair. On adore dans le monde merveilleux de la Com inventer de nouvelles expertises. Mais l’internaute se moque pas mal de son expérience en ligne, il cherche, donc il veut quelque chose dans l’air du temps, de clair et de cohérent (point). Si je dois designer une chaise je serai d’abord concentré sur le fait qu’on puisse s’asseoir dessus, qu’elle tienne debout et qu’elle soit confortable. 

Les designers de ma génération n’ont pas attendu ces métiers de UX et UI designers pour faire de l’ergonomie, on réfléchissait déjà au parcours utilisateur avant le “design thingking” et oui, dans la Com on adore aussi l’anglicisme. Blague à part, c’est une question importante que j’ai longuement traité dans un article de mon blog et dans une vidéo. 

Thomas : En somme, il y aurait le préposé à l’arborescence et au zoning, à la stratégie et au storytelling, puis celui du cosmétique, qui choisit la typographie et la couleur des boutons, etc. je ne crois pas que les conception web ai besoins de ce type de process. Une petite équipe qui collabore c’est toujours bon, mais pas dans cette composition. En tout cas pour moi cela ne me convient pas.. 

Ce serait comme structurer  au fusain la toile du maître, avec des lignes fortes et la position des éléments avant qu’il intervienne. Ou imposer au photographe a la fois, le model, sa position, le décors, la lumière, l’angle et le cadrage.

L’illustration c’est autre chose, un autre métier, l’illustrateur est un dessinateur qui a sa patte et qui sera choisie pour celle-ci en effet, on peut alors parler de “style” et même s’il peut varier son trait on ne peut rien lui imposer, si son style est carton il ne fera pas de réalisme. Pour le webdesigner c’est différent, il créé un objet digital utile et globalement sa palette est plus large. 

L’art et les artistes je pourrais en parler longuement mais ce n’est pas le sujet en vérité. C’est du divertissement.

Nuit Bleue : J’aime bien ta vidéo coup de gueule, provocateur. Je voudrais revenir dessus.

Tu parles  de l’absence de vrai « tests utilisateurs » en agence. Je pensais que c’était justement le fondement de l’ux, que tous le travail sur l’expérience utilisateur accompli soit validé par de vrais utilisateurs qu’ils soient potentiels ou déjà client. J’imagine que des rencontres avec ces utilisateurs en face à face seraient bien plus efficace mais impossible par contre, il y a pas mal d’outils qui existent. Je pense aux outils d’AB testing sur des segments d’audiences ou des outils de heat map, capture vidéo de session, des outils qui apportent de la données sur la façon dont un segment d’utilisateurs interagit avec ce qui s’affiche au-dessus de la ligne de flottaison.

Tu parles aussi dans ta vidéo du process de création/refonte de site ou appli qui se complexifie avec le nombre d’intitulé de postes qui interviennent. Les bullshits jobs, les boulots de bureau à la plus-value discutable Pour ma part je pense que, suivant l’équipe,  le process peut s’alourdir ou s’enrichir. L’Ux designer peut faire la passerelle entre le SEO, le webdesigner et le marketing, comme le SEO fait la passerelle entre la rédaction et les développeurs.

Et les process, ils dépendent de l’équipe qui les mettent en pratique. Sprint, agile, pourquoi pas, mais limité le nombre de « validateurs » comme tu les nommes, de décisionnaires, avoir une équipe qui maintient un haut niveau de communication et d’organisation, ce sont les clefs pour éviter la réunionite.

Add a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *